Pour faire suite au premier billet concernant le Lean Tour Nouvelle Aquitaine 2019 concernant Grégory Verdon et la manière avec laquelle il a fait entrer Soditel dans une démarche Lean, c’est maintenant sur l’intervention de Norbert Dubost que je vais m’attarder. Norbert est exécutive coach chez Lean Sensei Partners, membre de l’ILF, et ex VP Opérations & Industrie chez Thales. C’est d’ailleurs lui qui était en charge de l’animation de cette journée passionnante.
Son intervention était formidablement inspirante car son parcours est le plus riche que l’on puisse trouver. En effet, il fait partie de ceux qui sont passés d’un mode « Command & Control » au Lean management. Et il nous explique justement ce changement de cap dans sa posture, mais également dans sa manière de penser, ce fameux « changement de logiciel » dont parle Grégory Verdon dans son intervention.
Le constat

Jusqu’en 2006, Norbert était totalement dans le mode Command & Control et plutôt à l’aise avec cela. Il travaillait sans problème avec les processus (imposés), les indicateurs (de contrôle) et des postes de contrôle. Il constate qu’aujourd’hui ce modèle de management est encore celui le plus utilisé dans nos entreprises occidentales. Et malheureusement, on ne peut que lui donner raison.
Dans ce mode de fonctionnement, le Comité de Direction définit, décide, dirige et démêle les situations inattendues. Norbert fait ici référence aux 4D évoqués dans le livre « La Stratégie Lean » (Michael Ballé, Daniel Jones, Jacques Chaize et Orest Fiume) et repris par Dan lui-même lors de son intervention au Leansummit 2018. Il déplore alors un système hermétique aux changements. Un système cadré par des processus (ou procédures), verrouillé par des reportings, des audits, des workflows informatisés sans amélioration possible engendrant de l’insatisfaction client et même la démotivation des employés.
La Faille du Command & Control

En 2006, Norbert découvre le Lean. Et avec lui, il découvrira ce qu’il appellera « les failles » du modèle Command & Control. Sa découverte du Lean s’est faite en plusieurs phases. Il nous parle notamment de sa découverte du Jidoka en 2008, et de ses importantes prises de conscience via les Gemba réguliers qu’il à mis en place à partir de 2009. Ces Gemba lui feront réaliser plusieurs choses :
- Les processus (ou procédures) qui définissent l’organisation n’apprennent rien sur les procédés qui font les bons produits.
- Les managers dit « de proximité » ne sont finalement que des gestionnaires de processus (de procédures) ne tenant pas compte du savoir-faire des opérateurs (les procédés).
- Les reportings et les KPI qui remontent restes superficiels et ne vont pas jusqu’à l’opérateur. La direction ne sait donc pas ce qui s’y passe et prend ses décisions sans base solide (qu’elle devra démêler par la suite).
J’ai particulièrement aimé le terme utilisé par Norbert : la « bulle de la valeur ajoutée ». Cette bulle dans laquelle personne ne veut entrer, et qui est pourtant ce qu’il y a de plus important pour une entreprise car c’est bel et bien là que la valeur se créée. Le Lean vise à reconnecter toute l’entreprise sur l’opérateur et sa bulle.
« On a de bons produits en regardant les procédés et non les procédures. »
Norbert Dubost
Son « déclic »

Finalement, Norbert explique que son « déclic » a eu lieu quand il a compris que les Lean n’était pas une boîte à outils ou simplement « que du bon sens » (comme on l’entend encore souvent). C’est une technologie de management intégrée et éprouvée fondant la réussite de l’entreprise sur la satisfaction des clients et le développement des personnes. C’est un passage difficile du 4D (Définir, Décider, Diriger, Démêler) au 4F (déjà évoqué dans cet article) :
- Find : Rechercher et identifier sur le terrain les problèmes à résoudre en se plaçant du point de vue des clients
- Face : Faire face aux problèmes identifiés et définir les challenges associés
- Frame : Préciser les challenges en définissant des sujets d’apprentissages (améliorations) précis afin de guider le développement des collaborateurs
- Form : Le management accompagne le collaborateur pour réaliser des expérimentations et construire une solution globale à partir d’initiatives individuelles.

Ce qui a finalement transformé Norbert, c’est le fait même de comprendre que pour transformer l’entreprise, il fallait qu’il se transforme lui-même en passant du 4D au 4F. La base du fonctionnement du Lean est bien là : pour pouvoir fonctionner, le prérequis est la transformation préalable des dirigeants eux-mêmes.
Et c’est loin d’être évident de changer. « Le Lean pour les managers, c’est dur, c’est du sérieux ! ». Rester dans son bureau, recevoir des KPI, et prendre des décisions de lancer de nouveaux plans de transformation, c’est bien plus simple que de se focaliser sur le développement des personnes. Norbert admet lui-même avoir bien réussi la mise en place de certaines pratiques comme le Jidoka (arrêt au défaut), mais avoir mis du temps à comprendre à quel point d’autres pratiques comme le JIT ou le Takt étaient des « machines à développer les personnes ».
Mon impression

Au travers de son intervention, Norbert laisse entrevoir trois éléments extrêmement importants pour comprendre le Lean :
- Le Gemba : c’est grâce au Gemba que Norbert a pris conscience des failles du mode Command & Control. Le management et la direction restent malheureusement trop souvent dans leurs bureaux et n’entrent pas assez dans la « bulle de valeur ajoutée » des opérateurs. De fait, ils passent leur énergie à gérer et contrôler des procédures, plutôt que de comprendre et améliorer les procédés. Ils ne sont alors plus focalisés sur le fait de construire les bons produits. Le Gemba est LA pratique qui permet de prendre conscience de cela, ce qui exige de faire face aux problèmes. C’est peut-être bien ce dernier point qui retient nombre de manager loin de cet endroit où se créé la valeur.
- Outils du Lean : Je vois trop souvent les outils du Lean (5S, PDCA, Flux Tiré, Jidoka, etc.) utilisés mécaniquement en oubliant ce pourquoi ils sont faits. Ces outils n’ont pas d’autre but que de développer les personnes, base sur laquelle se repose le Lean pour améliorer la satisfaction client. Mettre ces outils sans comprendre cette finalité engendrera des résultats moyens (et à court terme). Arrêtez de voir ces outils et pratiques comme des fins et voyez-les comme des moyens de réussir des choses (ce qui implique de se poser la question de ce que vous avez à réussir).
- Transformation : Enfin, on comprend bien que parler de « plans de transformation » n’a pas de sens car ils s’inscrivent totalement dans le 4D. Le Comité de Direction définit, décide, dirige et démêle les situations inattendues. Le message envoyé ici, c’est que le Lean est intrinsèquement une transformation en soit (et qui fonctionne).
Je termine ce billet par une citation de Norbert que j’ai beaucoup appréciée montrant une des principales difficultés que nous rencontrons avec ce genre de démarche : notre éducation.
« Le Lean, c’est faire pousser des arbres plutôt que construire un pont. On taille quelque chose qui pousse aléatoirement, c’est lent… On plante, on regarde quelque chose qui pousse sans nous…
Dans les écoles, on apprend à construire des ponts. »
Norbert Dubost